Sur les poésies de Michel Houellebecq
Michel Houellebecq, qui n’a pas entendu parler de cet écrivain dont presque chaque roman est objet de scandale. Franchement tout ce qui se disait sur ses romans ne me poussait absolument pas à le lire. Et quand je les feuilletais rapidement dans les librairies je n’y trouvais rien qui put m’intéresser. Il me semblait que c’était quelqu’un d’autocentré et toujours à se regarder le nombril et le sexe. Puis l’un de mes frères m’a conseillé de lire « Lanzarotte.» Il s’agit d’un récit qui se passe sur l’île de Lanzarotte aux Canaries. Le narrateur pour échapper à la fête de Noël file dans une agence de voyages et s’envole pour Lanzarotte. Pendant ce séjour, il rencontre d’autres touristes dont deux lesbiennes allemandes « non exclusives » qui sans complexe font l’amour sur la plage. Il participe à leurs ébats amoureux. Il y a un quatrième personnage, un inspecteur de police Luxembourgeois dépressif.. A la fin du séjour cet inspecteur rentre dans la secte des Raëliens. Rentré chez lui, le narrateur assiste devant sa télé à l’arrestation des Raëliens poursuivis pour pédophilie. Il s’agit d’un livre avec des photos prises par l’auteur. C’est effectivement un livre qui semble condenser toutes les obsessions et thématiques de l’auteur ou à tout le moins un grand nombre. Le style est simple, clair, direct, réaliste. J’ai eu l’impression à la lecture de ce livre que les relations du narrateur avec les lesbiennes étaient pour lui un peu une parenthèse enchantée. Mais finalement cela ne m’a pas incité à lire ses autres œuvres.
Récemment, une amie, m’a offert un recueil de ses poésies dans la collection «J’ai lu ». Je l’avais un peu provoquée en lui affirmant assez péremptoirement que pour moi ce n’était pas un poète et que sa poésie était nulle. J’ai fait l’effort de le lire et je n’ai pas vraiment changé d’avis : ce n’est pas nul, loin de là, mais ce n’est que très rarement de la poésie. Trop plat, pas de lyrisme ou si peu, un regard sur le monde et l’homme d’entomologiste, un désespoir immensément déprimant et pourtant parfois on rit. Son style a une précision de surface, cela ressemble à un constat de médecin légiste. Les mots chez-lui sont comme une peau qui recouvre la chair, l’os, le sang, la vie. Il s’en sert pour s’en tenir à l’écart et en même temps il désespère de l’atteindre ou de s’y maintenir quand cela lui tombe dessus. Par exemple, dans « La poursuite du bonheur » : «Après-midi de fausse joie, Et les corps qui se désunissent, Tu n’as plus très envie de moi, Nos regards ne sont plus complices.» Le constat est sec, presque scientifique. La joie devient fausse à posteriori car non durable. «Oh ! la séparation, la mort Dans nos regards entrecroisés La lente désunion des corps, Ce bel après-midi d’été.» Le Oh ! d’exclamation met un peu d’émotion mais il revient bien vite à la description banale de la scène. Il est assez significatif par ailleurs qu’il n’y ait pas de décor, son attention est entièrement pris par ce qui se défait et la lumière qui au fond est ce qu’il y a de plus tangible et durable dans cet après-midi.. Il parle des corps qui se désunissent mais on ne voit pas les corps, ce sont des ombres dans la lumière et seuls les regards sont encore vivants ; en fait tout ce qui est le moins matériel.
Par contre j’aime bien ce poème tiré du recueil « Le sens du combat » :
La longue route de Clifden
A l’Ouest de Clifden, promontoire
Là où le ciel se change en eau
Là où l’eau se change en mémoire
Tout au bord d’un monde nouveau
Le long des collines de Clifden,
Des vertes collines de Clifden,
Je viendrai déposer ma peine.
Pour accepter la mort il faut
Que la mort se change en lumière
Que la lumière se change en eau
Et que l’eau se change en mémoire.
L’Ouest de l’humanité entière
Se trouve sur la route de Clifden
Sur la longue route de Clifden
Où l’homme vient déposer sa peine
Entre les vagues et la lumière.
La dernière strophe est un peu boiteuse au niveau de la métrique. Cette claudication est-elle volontaire ? En tout cas on entend une musique triste tout au long de cette route qu’on imagine longer la mer, au sommet des falaises et à la fin des terres. Beau lieu pour mourir, cet occident de l’Occident ou pour déposer simplement sa peine.
Malheureusement il y a trop peu de poèmes de cette tonalité. Ce qui est curieux c’est que Houellebecq semble très attentif aux gens, aux choses, au monde mais sans les aimer ou simplement les apprécier. Son écoute, son regard sont totalement biaisés par la souffrance et le désespoir qui l’habite continûment. Il est soit dans la haine, soit dans le mépris, soit dans la pitié passive et distante ou encore le dégoût. Il n’arrive pas à s’oublier, à oublier son « moi hypertrophié et qui saigne ». Du coup il anticipe toujours le mauvais côté des situations : «Le matin était clair et absolument beau ; Tu voulais préserver ton indépendance. Je t’attendais en regardant les oiseaux : Quoi que je fasse, il y aurait la souffrance.» Là encore c’est au lecteur de remplir les blancs.
Il est à noter aussi qu’il privilégie très nettement le fond sur la forme, souvent donc les vers n’ont pas le même nombre de pieds mais il conserve quand même la rime qui n’a plus grand sens ; d’autre fois il mélange des vers et de la prose, il ne respecte pas non plus les alternances des rimes féminines et masculines. Certes ce n’est pas le premier à l’avoir fait mais en général ils ont cherchés d’autres artifices. Cela doit sans doute être mis sur ce qu’il pense du style ; à savoir : « La première — et pratiquement la seule — condition d’un bon style, c’est d’avoir quelque chose à dire. C’est ainsi que je fabrique mes livres.». Pour un roman cela peut se justifier mais pour la poésie où la forme est aussi importante que le fond, non !