Quelques poèmes de Rainer Maria Rilke
Faut-il vraiment tant de danger
à nos objet obscurs ?
Le monde serait-il dérangé
étant un peu plus sûr ?
Petit flacon renversé,
qui t'a donné cette mince base ?
De ton flottant malheur bercé,
l'air est en extase.
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J'ai vu dans l'œil animal
la vie paisible qui dure,
le calme impartial
de l'imperturbable nature
La bête connaît la peur;
mais aussitôt elle avance
et sur son champ d'abondance
broute une présence
qui n'a pas le goût d'ailleurs
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Nul ne sait, combien ce qu'il refuse,
L'Invisible, nous domine, quand
notre vie à l'invisible ruse
cède, invisiblement.
Lentement, au gré des attirances
notre centre se déplace pour
que le cœur s'y rende à son tour :
lui, enfin Grand Maître des absences.
Il s'agit de trois poèmes tirés du recueil Vergers, écrit par Rainer Maria Rilke en français quand il résidait en Suisse.
Rainer Maria Rilke est un écrivain autrichien né à Prague en 1875 et mort à Montreux en 1926. Il venait d'avoir 51 ans. "On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans" mais quand on a trois fois dix-sept ans est-ce sérieux de mourir ?Alors qu'on a peut être pas fini son œuvre, l'Ange vient la clore. Ces derniers poèmes sont parus de manière posthume. Il faut dire que ce thème de la mort apparaît souvent dans sa poésie, aussi bien dans les titres de ses recueils que dans ses poèmes mais toujours mêlés à la vie. L'une de ses œuvres les plus célèbres sont "Les élégies de Duino". Ecrites en langues allemande, c'est une série de dix longs poèmes qu'il a mis dix ans à composer. On entend un peu la voix des Elégies dans les poésies françaises mais en plus léger. La célèbre légèreté française qu'il a su s'approprier.
Voici un dernier poème.
Portrait intérieur
Ce ne sont pas des souvenirs
qui, en moi, t'entretiennent;
tu n'es pas non plus mienne
par la force d'un beau désir.
Ce qui te rend présente,
c'est le détour ardent
qu'une tendresse lente
décrit dans mon propre sang.
Je suis sans besoin
de te voir apparaître;
il m'a suffi de naître
pour te perdre un peu moins.