Expo Caravage au Musée Jacquemart André
Le Musée Jacquemart André est situé Boulevard Hausmann dans le 8ème arrondissement.. J'y suis allé le dernier jour de l'exposition sur Le Caravage et certains de ses contemporains. Il y avait 10 œuvres du Caravage et de nombreuse autres œuvres de certains des contemporains amis ou ennemis. J'ai du patientez presque 3 heures dans la queue avant de pouvoir accéder au musée. Il faisait pas bien chaud et j'étais obligé de taper des pieds pour tenter de me réchauffer. Mais le Caravage valait bien ces petites incommodités.
En fait il y avait deux queues. Une dans la rue et une dans ce corridor richement décoré où on était déjà un peu à l'abri. Il y a eu moins de temps à attendre dans ce corridor que dans la rue.
Cette rampe n'était pas empruntable mais on pouvait emprunter celle située de l'autre coté du hall.
L'expo était au premier étage. En y arrivant le contraste était frappant entre le hall du rez-de-chaussée immense et les salles de l'exposition qui semblait toute petite par comparaison et d'autant plus qu'il y avait une presse incroyable au point qu'il était parfois difficile de bouger et de s'approcher des œuvres. Pas des conditions idéales pour prendre des photos tant on pouvait être bousculé à tout moment.
L'expo commençait par le "Joueur de luth". L'une des trois versions connues du maître du clair-obscur. Ma photo est trop bougée pour que je la présente.
Ensuite on tombait nez à nez avec Judith décapitant Holopherne. Une œuvre assez brutale qu'on qualifierait aujourd'hui de gore.
Remarquez la crispation des mains d Holopherne sur le drap et la couverture dans un geste désespéré pour se relever et sa bouche hurlant de douleur. Judith a le visage tout pâle, un petit mouvement de recul mais il semble que cela soit plutôt pour ne pas tacher ses vêtements que devant l'horreur de la scène. La servante, elle, attend que la besogne soit terminée pour envelopper la tête dans un tissus.
Dans une autre salle on pouvait admirer ce jeune Jean-Baptiste au bélier. L'image du bélier serait une représentation du sacrifice ultime du Baptiste avec sa tête réclamée par Salomé, fille d'Hérodiade à Hérode.. Rappelons qu'Hérodiade est la femme du frère d'Hérode et en même temps la concubine de Hérode lui-même. Jean-Baptiste combattait cette union à la fois adultère et incestueuse. Le bélier serait donc une image du destin tragique qui l'attend en contraste avec la sensualité et la tendresse qui émane de l'œuvre.
Ci-dessous une toile sur le même thème d'un artiste contemporain du Caravage à la composition et à tonalité très différente. Un Saint-Jean Baptiste moins sensuel et plus méditatif qui regarde un bélier plus jeune. La composition est plus classique et la pose moins osée. J'ai pas noté le nom du peintre.
Bartolomeo Manfredi est un peintre italien du 17ème siècle Il est né dans la province de Crémone en Lombardie dans la ville d'Ostiano en 1582 et donc le cadet de 11 ans du Caravage. Il est considéré comme un des émules du style caravagesque et comme un de ses grands disciples mais avec un style bien à lui. Notamment il est très doué pour raconter des histoire grâce aux expressions corporelles des personnages.
La scène représente le saint d'Assise plongé dans une intense méditation. Le livre sans doute la Bible et le crucifix sont le support de cette méditation profonde un peu comme peut l'être les mandalas dans le Bouddhisme. Le crâne en "memento mori" rappelle que la mort est le destin. La scène est nocturne, on devine une souche d'arbre derrière le Saint agenouillé et la lumière qui l'éclaire parait presque surnaturelle. Certains critiques y ont vu un autoportrait à la fois physique et spirituelle du peintre. D'autres n'y voient qu'une représentation de l'état d'esprit du Caravage au moment où il l'a peinte. Comme beaucoup d'œuvres du Caravage elle est entourée de mystères. Quel est son commanditaire ? Quand a-t-elle-été peinte ? Elle a même été longtemps considérée comme une copie de l'œuvre originale disparue, ce qui n'est le plus le cas aujourd'hui. On se dispute encore sur sa date de création entre 1603 et 1607, soit avant ou après sa fuite de Rome en 1606.
Il s'agit de la première version de Saint Jérôme écrivant. Elle aurait été peinte entre 1605 et 1606 pour le Cardinal Borghèse. Elle est d'ailleurs conservée aujourd'hui à la Villa Borghèse de Rome. Une image classique de Saint-Jérôme en vieillard. Saint Jérôme est connu pour avoir traduit la Bible en latin. Le saint occupe toute la partie droite de la toile dans une pose d'étude du texte de la Bible pour la traduire enveloppée dans une cape rouge qui contraste avec le drap blanc qui pend au bout de la table côté gauche. La main qui écrit et comme suspendue à la recherche de la bonne expression. Ce double mouvement du saint qui tourne les pages de son bras gauche replié vers lui et du bras droit qui file écrire donne son dynamisme à la toile. Mouvement souligné par la cape.
Orazio Gentileschi est un peintre italien de 8 an l'aîné du Caravage mais pourtant fortement influencé par lui et son premier disciple avant de se brouiller définitivement avec lui. Il adoptera un style beaucoup plus classique et deviendra un peintre à la Cour du roi Charles 1er d'Angleterre. Il meurt à Londres en 1639. Sa fille Artemisia Gentileschi est aussi une peintre reconnue qui travaille avec lui pour différente décoration à Londres.
Le Cavalier d'Arpin de son vrai nom Giuseppe Cesari est un peintre maniériste italien de trois ans l'aîné du Caravage (naissance soit à Rome soit à Arpino en 1568 et mort à Rome en 1640). Il doit son titre de Cavalier au pape Clément VIII qui l'a fait chevalier du Christ. Son pinceau est très subtile mais manque d'expressivité notamment dans ses portraits.
Cet œuvre est attribuée au Caravage mais elle a longtemps été considéré comme une copie. C'est plutôt sur des bases documentaires qu'elle lui a été attribuée. Notamment le seul manuscrit autographe qu'on possède de lui dans laquelle il s'engage auprès de Massimo Massimi à lui peindre un tableau de même valeur et de même taille que celui déjà peint pour lui "Le couronnement d'épine". Mais des doutes subsistent sur le tableau objet de cet engagement. Dans l'exposition il est présenté comme le tableau présenté par le Caravage à un concours sur ce thème. Ce serait un autre tableau qui aurait reçu le premier prix celui de Il Cigoli présenté à côté de celui du Caravage.
Il Cigoli de son vrai nom Lodovico Cardi est un peintre italien actif entre la période maniériste et la période baroque. Son tableau Ecce Home conservé au Palais Pitti à Florence est son œuvre la plus célèbre.
On remarque sur les deux tableaux que les artistes n'étaient pas trop préoccupée pour donner un caractère antique aux costumes et coiffes portés par les personnages. Dans l'un Pilate ressemble plus à un homme de la renaissance qu'à un gouverneur romain et dans l'autre il a plutôt l'air d'un oriental en turban.
Et nous arrivons au clou de l'exposition les deux "Marie Madeleine en extase".
Les différances entre les deux toiles ne sont pas très importantes mais sont bien visibles. Mais avant racontons leur histoire.
Ce qu'on sait depuis longtemps c'est que lorsque le Caravage s'enfuit de Rome après avoir tué Ranuccio Tomassoni dans une rixe collective où il défendait un de ses amis, Onorio Longhi, dans une vendetta dont l'objet est probablement une vieille querelle. En tout cas au cours de cette bagarre il tue l'un de ses adversaires, membre d'une famille influente Romaine. Lui même est blessé tandis qu'un des ses compagnons est tué par le frère de celui qu'il vient de mortellement blessé, il peint une toile ayant ce thème.
Cette toile a pu être peinte soit chez les Colonna, ses protecteurs depuis l'enfance, dans la principauté de Paliano où il est hors d'atteinte de la police du pape, soit durant son voyage à Naples. On sait aussi que cette toile est dans les bagages du peintre lorsqu'il quitte Naples pour rejoindre Rome où il compte l'offrir au Cardinal Borghèse apparenté au pape pour obtenir son pardon. Mais il meurt en cours de route et les toiles sont renvoyés à Naples chez les Colonna pour que ceux-ci se chargent de les transmettre à Rome au cardinal Borghèse. On sait que la toile n'arriva jamais chez les Borghèse.
Or aujourd'hui on se retrouve avec deux œuvres très semblables et toutes deux reconnues de la main du maître. Celle dite "Klain" qui a été authentifiée en 1935 par Roberto Longhi un des grands historiens de l'art italien, spécialiste du Caravage dont il supervise une exposition en 1951 et publie une monographie en 1952. Cette version serait restée longtemps (jusqu'en 1873) chez une princesse Carafa-Colonna à Naples avant de changer de main
L'autre qui serait dans une collection privée "européenne" probablement en Italie mais sans certitude, les propriétaires préférant garder l'anonymat, a été authentifiée par Mina Grégori, une des grandes spécialiste actuelles du Caravage. Cette imprécision dans sa localisation a grandement contribué à son mystère et à l'intérêt qu'on lui a porté. Ce qui est apporté comme preuve de l'authenticité de la toile, c'est un petit billet rédigé dans une écriture typique du XVIIème siècle découvert caché derrière le tableau et indique que le est l'œuvre du Caravage et qu'il a été retourné à Chiaia pour être donné à Scipion Borghèse, le puissant cardinal neveu du pape. L'experte s'appuie aussi sur le style du tableau et notamment la qualité des modelés, la subtilité de la carnation et l'intensité du visage , les ombres portées des doigts signent un Caravage sans l'ombre d'un doute pour elle.
Qui a raison de ces deux experts ou bien ont-ils tous les deux raisons et le Caravage en aurait-il peint deux ? Une pour Costanza Colonna pour tout ce qu'elle a fait pour lui et une autre pour le Cardinal pour obtenir son pardon. C'est tout à fait possible.
On peut même imaginer l'histoire romanesque suivante :
" Au moment où il apprend que ces vaines tentatives jusqu'ici de se faire pardonner et gracier par le pape sont sur le point d'aboutir et qu'il s'apprête à partir pour Rome, il réclame le tableau aux Colonna. Ceux-ci exigent que le peintre leur en fasse une copie. Le peintre s'exécute mais en changeant quelques détails pour qu'on ne puisse pas confondre les deux tableaux"
Ceux-ci dit examinons quelques différences.
La carnation est globalement plus rose sur la Madeleine "Klain" que sur l'autre où elle est d'un dégradé plus subtile avec un multiplicité de tons qui va de la pâleur du buste au léger ton rose en passant par les bleus et les verts subtilement mariés entre eux. La bouche est plus grande et moins mignonne sur la "Klain", la liaison entre le nez et la lèvre supérieure parait moins réussie, les cheveux sont plus roux par contre on voit mieux les cheveux situés derrière la tête que dans la nouvelle version. Le menton de la "Klain" est plus souligné comme les attaches du coup au torse. Maintenant on sait que la Madeleine "Klain" a été restaurée. malgré la qualité de la restauration certains glacis on pu disparaître et on ne la voit plus dans on état d'avant la restauration. Cette restauration donne un air plus lisse à la toile car elle a fait disparaitre les craquelures. J'emploie la graphie Klain qui est celle de l'exposition mais ailleurs sur internet je l'ai vu désignée sous la graphie "Klein" plus logique. Par contre les deux touches de lumière et sur l'épaule gauche de Madeleine donne à mon avis un meilleur modelé au cou et à l'épaule. L'oreille de la nouvelle Madeleine semble très rouge.
Là aussi on voit de notables différences entre les deux versions. Dans la Madeleine qui vient
d'être découverte les ombres des doigts sont plus accentuées leur donnant un plus beau relief, idem pour la carnation des mains qui semble plus subtile avec une plus grande richesse de ton. Les ombres portées sur le poignet gauche sont très différente. J'avoue préférer celles de la nouvelle Madeleine.
La toge est d'un rouge plus vif et les plis plus nets sur la Madeleine Klein. Cela donne un air plus cassé mais plus lumineux à cette toge alors que dans la nouvelle version le tissu semble plus souple et faire des plis plus arrondis cela donne une douceur que je trouve agréable mais peut-on dire que l'une des versions est meilleure que l'autre ? Je ne pense pas. Une dernière différence se trouve dans la tête de mort qu'on devine dans le coin en bas à droite du tableau de la nouvelle version alors que dans l'autre seuls quelques traits suggèrent le coussin du siège su lequel Marie-Madeleine est tombée en extase.
Les deux tableaux restent tous les deux très beaux. Qu'il soient de Caravage ou non, je crois que n'importe quel peintre pourrait s'enorgueillir de les avoir faits.
Il s'agit de la deuxième version peinte en 1606 et très différente de la première peinte en 1601. Le Christ reste en position central mais un peu décalé sur la gauche du tableau. Ces deux compagnons sont en train de le reconnaître alors qu'il bénit le repas. L'aubergiste et une servante sont debout derrière et à la gauche du Christ (droite du tableau. A part les visages qui concentrent toute la lumière la scène et les couleurs sont sombres, le repas sur la table est frugal. Alors que dans la première version la scène étai plus lumineuse et plus coloré, le repas assez copieux sur la table et les disciples était plus expressifs dans leur geste d'étonnement. L'aubergiste était seul derrière le Christ mais situé sur sa droite. Le Christ était plus souriant, plus jeune et imberbe avec de bonnes joues bien colorées alors que là a sent la dèche et le recueillement. La scène est spiritualisée. En cinq ans l'évolution du Caravage est considérables. La première version n'était pas présentée dans l'exposition. On peut la voir à Londres où elle est exposée à la National Gallery. Celle exposée au Musée Jacquemart-André l'est habituellement à l'Académie Brera de Milan.
Cette simple cruche et ce ver de vin ne sont-ils pas magnifique ? On a presque envie de soulever ce verre et de le boire.
C'est la dernière toile de l'exposition Caravage. Il y avait d'autres toiles dont une dont je vous ai parlé "Le joueur de luth" sans vous la montrer et une autre qui dans mon souvenir est "L'Amour victorieux". Toutes deux de Caravage. Les voici piochées sur internet.
En contrepoint de l'Amour victorieux il y avait une œuvre de Giovanni Baglione, un des ennemis de Caravage qui lui a intenté un procès pour avoir dénigré son œuvre, "L'amour divine triomphe de l'Amour profane".