Mare nostrum
La Méditerranée est-elle encor « mare nostrum »
Quand si souvent on y laisse périr les hommes,
Les femmes et les enfants que jettent sur les flots
Les guerres, la misère, la sécheresse et ses maux ?
Au-dessus la lune erre éclairant ce tombeau.
Au matin, un soleil plein d’oubli tel un moineau
Ouvre son œil d’or sur ce cimetière marin.
Aucune croix n’y rappelle les sombres destins
Que les vagues ont engloutis sans aucun remord.
Mais est-ce à nous d’oublier aussi tous ces morts,
Humains comme nous et pourtant rejetés par crainte
De notre ruine, l’oreille insensible à leurs plaintes ?
Boirons nous longtemps l’absinthe sinistre et perverse
Que la déesse Léthé sur nos yeux fermés verse
Comme un poison, un feu tragique sur leurs douleurs
Leurs espoirs de naufragés, leur désir de bonheur ?
Avons-nous encore un cœur, une âme charitable ?
Oui certains se dressent avec cette âme sur l’instable
Et mouvante moire pour éviter le sépulcre liquide
À ceux qui risquent leur vie dans ce raid intrépide.
Mais quand on rêve, la terre ne semble pas si loin,
On croit la voir et la toucher déjà de ses mains
Le cœur anticipe un bonheur au lieu d’un naufrage
On part confiant sans soucis des vents et des orages.
C’est plus tard sous un ciel olympien, calme et serein,
Avec devant soi l’eau, ses moirures et ce rien
De l’horizon vide que les inquiétudes naissent.
Dans le ciel le soleil est un clou brûlant qui blesse.
La mer aussi brûle, la gourde est vite finie,
Et la faim et la soif arrive avant l’Italie
Où le bateau se heurte au refus d’accoster
Il faut encor chercher un port où débarquer.
Quand donc finira l’errance si l’Europe ferme
Ses frontières, érigeant des murs ferments et germes
De la haine et des guerres qui gagnent les esprits.
De libre elle se retrouve assiégée et meurtrie.
Mais comment clore hermétiquement tout cet espace
Quand l’Empire romain a échoué ? Par quelle grâce
Y arriverions-nous quand nous n’en tenons plus
Toutes les rives. N’est-ce pas des efforts perdus ?
Mais alors que faire ? Accepter d’être un havre d’accueil
Pour tout humain souffrant demandant asile à notre seuil ?
Choisir ceux qu’on secourt, laisser aux requins les autres
Puis réciter pour eux quelques jolies patenôtres ?
Est-ce là le dilemme où nous plonge le destin
Du monde que nous avons forgé avec nos mains ?
Pour moi, c’est certain, l’aide doit être à tous offerte,
Seul choix pour laisser la porte de la paix ouverte.