Epithalame (Guillaume Apollinaire)
L'épithalame est un chant en l'honneur des mariés. Voici un curieux épithalame de Guillaume Apollinaire.
Il est trop tard, il est trop tard, l'homme a pris ma soeur
Aux mamelles tentantes en la tristor des soirs,
Et je n'ai pu vouloir sous les étoiles habituelles
Ecouter les baisers que lui donnait l'Amant.
La chasse, ô soeur, la chasse a corné dans les nuits,
Les corneurs au loin ont fait un vain bruit,
Et la tête mourante a déchiré ton sein
Pour réchauffer le front trahi du morne Saint.
Rêvons! Rêvons, ô soeur! -Tes tresses magnifiques !-
As-tu des rêves d'or de femme prolifique ?
Et puis ce rêve est nul avec d'autres comas,
Et c'est à toi qu'il dit que jamais tu n'aimas.
Ô soeur, vierge impudique, qui reviens de là-bas
Ne t'es-tu pas livrée au mage des sabbats ?
Le désir de savoir ce que là tu fis nue,
Dis, ce sera pareil, ce conte inconnu,
Pareil à vos amours, livres non encor lus ?
La volonte, la volonté, oh! de ce que tu voulais.
Enfant aux seins trop durs, pointes-rubis balais;
Ô enfant, ô soeur, pourquoi t'es-tu livrée ? -
A tes pieds, l'aurore jeta ses fleurs de lauriers-roses;
Et ta fleur, et ton sein, et la nuit, et l'hypnose
M'ont fait mourir un peu, ô Belle au bois dormant !
Attendant le galop du cheval de l'amant.
Or, tu partis en croupe, le Mage te baisa,
Sur les yeux, sur les seins, sur la bouche il osa !
Ô dis, ô dis, ô soeur, dis-moi ce qu'il n'osa !...
Et te voilà revenue, pantelante, ô ma soeur !
De ce pays de feu où les femmes vont nues,
Où les membres sont noirs aux hommes qui t'aimèrent,
Où de longs corps se pâment au coin des carrefours,
Où l'on tranche la tête au soleil chaque jour
Pour qu'il verse son sang en rayons sur la terre.
Tiré de "Il y a"