La Saint Barthélémy
Moi qui écrit cette histoire, j'ai échappé par miracle à la fureur de la Saint Bathélémy. Ce jour là tout s'était passé comme d'habitude : il y avait eu une rixe entre mes frères les protestants et des soldats catholiques qui étaient venus les injurier dans l'auberge qui faisait face à ma maison, mais cela avait été sans gravité, heureusement ! Et le soir je regardais, apparamment tranquille, le coucher du soleil mais au fond de mon âme je ressentais comme un vague pressentiment ; j'avais l'impression qu'il allait se passer quelque chose cette nuit là ; mais je ne savais pas quoi. Mon coeur en était pincé, ma poitrine oppressée. Soudain une angoisse me saisit et je restais une heure près de ma fenêtre grande ouverte tous les sens en alerte.
Et lorsque la nuit fut venue j'étais encore là, épiant le moindre bruit et fouillant des yeux les ténêbres grandissantes dans la crainte de de voir l'ombre casquée d'un de ces démons catholiques attendant le moment propice pour bondir sur les protestants endormis. Soudain, du côté du Louvre, Paris s'incendia. Etais-ce déjà eux avec leur torches ? Oui, et j'entendais le bruit de leur armée sur les pavés des rues, j'entendais les portes qui craquaient puis un premier coup de feu parvint à mes oreilles, suivi d'un long râle affreux. Là colère m'obscurcit l'esprit et la vue et je vacillai un instant sur mes jambes avant de me précipiter dans la rue, le coeur plein d'une violence vengeresse. Le tocsin sonnait lugubre.
Mais quand je fus dehors mon courroux s'appaisa et je compris qu'il était inutile, dangereux et fou même de me précipiter ainsi, seul et presque nu, au devant des ennemis. Aussi quoique jeune et vigoureux, sans femme et sans enfant, je décidais de fuir non sans quelque terreur dans l'âme : peur de la mort mais aussi et surtout peur de ce que je considérais alors comme une lacheté. Je courus longtemps dans les rues, m'arrêtant souvent pour épier les bruits, invoquant le nom de Dieu et le priant de bien vouloir m'assiter et parvint enfin à m'échapper de la ville grâce à un compagnon d'infortune que j'avais rencontré.
Aujourd'hui je vis au Pays-bas, je suis marié, j'ai deux enfants, je m'occupe d'une importante filature de coton à Amsterdam et j'ai changé mon ancien nom de Tréglaude pour celui de Van Gloeden. Je rends grâce à Dieu de tous ses bienfaits.