Le chat de Schrödinger
Plusieurs jours j’ai vécu avec le chat de Schrödinger.
C’est un chat très curieux tout à la fois vivant et mort.
Une machine infernale dispose de son sort
Intriqué à celui de l’atome qu’un compteur Geiger
Surveille ; mais le mistigri évidemment l’ignore.
Lui, tant épris de liberté le voilà enfermé,
Il miaule, et fait ses griffes sur la terrible cage,
Espérant qu’avant l’heure quelqu’un viendra vérifier
S’il est vivant ou mort. En attendant il passe sa rage
D’animal en pleine santé sur les parois d’acier.
Qui sait, un laborantin aura peut-être pitié
Et, touché par sa peine et ses hurlements frénétiques,
Arrêtera cette expérimentation scientifique.
Hélas ! la science inexorable maintient son épée
De Damoclès radioactive et la fission atomique
Empoisonnera ou pas son sang en brisant la fiole
D’acide cyanhydrique ou en ne la brisant pas.
Pour le moment, comme s’il avait bu quelque boisson folle
Le physicien quantique voit double, et le trépas
Du chat superpose à sa vie le spectre de sa corolle.
Qu’importe, ce qu’aimerait le physicien quantique c’est voir
Quadruple, centuple, milluple et pour lui finalement
Le chat vivant et mort ou mort et vivant ou mort ou vivant
N’est pas un système qui accroît suffisamment son pouvoir
De calcul pour résoudre les mystères de l’Univers tournoyant.
Il rêve d’un ordinateur qui d’une seule équation
Et en quelques secondes réunirait l’infime à l’immense.
Sept jours lui semblent un temps trop grand pour cette addition
Et il invente des théories démentes en apparence
Pour réduire l’incertitude qui règne au sein des baryons.
Il se pourrait bien que le fameux chat de Schrödinger,
Matou à l’esprit très matois et ubiquiste existe
Sous différents états quantiques dans plusieurs univers.
Serait-ce vraiment la solution à l’énigme qui enkyste
Depuis un siècle la théorie des particules élémentaires
Ce chat qui, comme la Lune, nous présenterait toujours
Un seul côté et qu’il faudrait observer pour savoir nous-mêmes
Dans quel univers nous vivons et quels sont les phénomènes
Non pas possibles mais réels ? Et quel compte à rebours
Nous dirait d’où nous venons si tels des Pierrots blêmes,
Et plus agités que des électrons dans leur atome,
Nous sautions sans prévenir d’un des univers à l’autre ?
Où nos amis nous chercheraient-ils si, ni à Côme,
Ni à Paris ni ailleurs, nous n’étions, mauvais apôtres,
Localisables et aussi fuyants que des fantômes ?
Mais fort heureusement la « décohérence » nous sauve
Et l’immensité du nombre d’atomes qui composent
Le chat autant que l’homme nous interdit d’arpenter
L’espace d’Hilbert même sous la forme discrétisée
De touristes quantiques y cherchant une fine osmose.
Si donc le chat ne peut être la mesure de toute chose
L’Homme le restera-t-il comme les Grecs le pensaient
Ou bien lui faudra-t-il réviser ses idées et, défait,
Reconnaître que son savoir est atteint de lordose
Et a besoin pour se soutenir de nombreux étais ?
(Pour les âmes sensibles je précise que l'expérience de Schrödinger n'était qu'une expérience de pensée. Il n' a
jamais été question de soumettre un chat à une telle expérience en vrai)