Histoire de Lynx de Claude Lévi-Strauss, impressions et commentaires de lecture (2)

Publié le par Pi_ro_94

Dans la deuxième version, la jeune fille n’a pas de mauvaises manières, elle est modeste et bien élevée et ne loge pas chez Lynx mais dans la cabane réservée aux demoiselles. Une nuit alors qu’elle est sortie pour uriner, Lynx l’aperçoit et urine à son tour au même endroit. La jeune fille tombe enceinte sans comprendre pourquoi . Un fils lui naît qui pleure constamment. C’est, pense-t-on, qu’il réclame son père. Coyote ordonne à tous les hommes du village de le prendre à tour de rôle dans leurs bras. Il compte apaiser l’enfant en lui fourrant subrepticement de la moelle dans la bouche et ainsi se faire reconnaître pour le père. Mais c’est peine perdue et les hommes échouent l’un après l’autre. Pendant ce temps Lynx qui a mauvaise conscience se tient à l’écart. On l’oblige à tenter l’épreuve et l’enfant se calme aussitôt. Coyote qui déteste Lynx réclame une seconde épreuve, un concours de chasse dont il sera le chef. Il profite de cette qualité pour tricher. Il tue son gibier à l’avance et le cache dans un tronc creux. Mais quand vient l’aube, Lynx s’arrache un poil de moustache, le pique dans la terre, suscitant une épais brouillard qui interdit de rien voir et Coyote s’évertue en vain à retrouver sa cachette. Le temps ne s’éclaircit qu’après que Lynx ait tué et rapporté le premier son gibier. Plein de rancœur, Coyote excite la famille de la jeune fille qui est un oiseau de l’espèce Viréo contre Lynx. Les oiseaux attaquent Lynx et le réduisent en bouillie. Mais Lynx avait prévu ce sort fatal et recommandé à sa femme de recueillir même le plus infime fragment de son corps. Redevenue oiseau, elle attend sur un arbre que Coyote et les autres habitants aient quitté le lieu de leur forfait. Elle trouve un minuscule bout d’os, l’enveloppe soigneusement dans une peau de cervidé et construit une cabane pour s’abriter avec son enfant. Jour après jour, elle entend des bruits qui sortent de la peau où elle a placé l’os. Finalement Lynx en émerge, le corps meurtri et couvert de blessures. Des bains de vapeur le guérissent. Sur ce, Coyote vient aux nouvelles. Il trouve Lynx dans le village déserté, proteste de son innocence, accuse Ours d’être le coupable et engage Lynx à se venger en lui promettant son aide ; Lynx accepte. Coyote se rend chez Ours, lui donne des conseils perfides et fait tomber ses cinq fils dans une embuscade où Lynx les tuent d’une seule flèche confectionnée avec un poil de sa moustache. Comprenant que son frère Coyote l’a trahi, Ours le poursuit et le blesse. Coyote se transforme en un vieillard hideux et repoussant, infesté de vermines et accompagné d’un chien couvert de plaies. Ours survient et ne reconnaît pas Coyote qui l’incite à traverser sur une passerelle branlante. Elle s’effondre sous le poids de Ours qui se noie dans la rivière en contrebas. Coyote et Renard son compère avec qui il s’était préalablement entendu pour le manger de cette façon, le font cuire dans un four de terre. Depuis lors la femme d’Ours vit cachée.

Ce qui m’a frappé dans ces deux versions c’est que Lynx apparaît comme un magicien, maître du brouillard, capable de se ressusciter à partir d’un petit morceau de son corps comme de confectionner une flèche à partir d’un poil de sa moustache ; alors que Coyote n’utilise que des ruses, son intelligence et son verbe pour arriver à ses fins. Coyote apparaît aussi comme une personne plutôt malfaisante. Mais ce n’est pas toujours le cas, dans certains épisodes le personnage apparaît de manière positive. C’est d’ailleurs un des aspects de la pensée amérindienne, cette ambiguïté des choses, des êtres, des actions, leur polymorphisme. C’est quelque chose qui ressort vivement à la lecture du livre.

Curieusement, Claude Lévi-Strauss ne s’arrête pas à cela et souligne l’opposition entre nature et culture. Dans la première version la jeune femme est fécondée par l’intermédiaire de la canne et le brouillard est suscité grâce au couvre-chef, deux objets manufacturés et donc culturels alors que dans la seconde ce sont l’urine et le poil de moustache qui permettent cela, deux produits organiques et donc naturels. Il note aussi les systèmes triangulaires qui se constituent entre le brouillard, l’étuve (bains de vapeur qui guérissent Lynx) et four en terre d’une part et l’urine, le poil de moustache piqué dans le sol et le poil de moustache tiré comme une flèche avec une opposition entre axe vertical et axe horizontal. L’opposition étant renforcée par leur lien avec la chasse, l’un l’interdisant, l’autre permettant une chasse superlative.

Concernant le système brouillard – étuve - four en terre, Lévi-Strauss indique que le brouillard correspond dans l’ordre de la nature à l’étuve et au four en terre dans l’ordre de la culture. J’ajoute qu’il y a progression du froid et humide vers le chaud et sec. Il manque donc un quatrième terme qui est le froid et sec. Or selon Lévi-Strauss la pensée amérindienne explore méticuleusement tous les couples d’opposition, on devrait donc trouver quelque part dans cette mythologie quelque chose qui symbolise ce froid et sec. Je n’y ai pas prêté attention en lisant le livre donc je ne saurais dire si ce froid et sec y apparaît au détour d’un fragment de mythe mais cela n’est pas souligné par l’auteur.

Histoire de Lynx de Claude Lévi-Strauss, impressions et commentaires de lecture (2)
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