Ebauche d'un serpent (de Paul Valéry) suite 1
…
Grand Soleil, qui sonne l’éveil,
A l’être, et de feux l’accompagnes,
Toi qui l’enfermes d’un sommeil
Trompeusement peint de campagnes,
Fauteur des fantômes joyeux
Qui rendent sujette des yeux
La présence obscure de l’âme,
Toujours le mensonge m’a plu
Que tu repends sur l’absolu,
Ô roi des ombres fait de flammes!
Verse-moi ta brute chaleur,
Où vient ma paresse glacée
Rêvasser de quelque malheur
Selon ma nature enlacée…
Ce lieu charmant qui vit la chair
Choir et se joindre m’est très cher!
Ma fureur, ici, se fait mûre;
Je la conseille et la recuis,
Je m’écoute, et dans mes circuits,
Ma méditation murmure…
Ô Vanité ! Cause première!
Celui qui règne dans les Cieux,
D’une voix qui fut la lumière
Ouvrit l’univers spacieux.
Comme las de son pur spectacle,
Dieu lui même a rompu l’obstacle
De sa parfaite éternité;
Il se fit Celui qui dissipe
En conséquences, son Principe,
En étoiles, son Unité.
Cieux, son erreur ! Temps, sa ruine!
Et l’abîme animal, béant!…
Quelle chute dans l’origine
Etincelle au lieu de néant!…
Mais, le premier mot de son Verbe,
MOI !… Des astres le plus superbe
Qu’ait parlés le fou créateur,
Je suis !… Je serais !… J’illumine
La diminution divine
De tous les feux du Séducteur!
… à suivre...
Ebauche d'un serpent (de Paul Valéry)