La nuit et les rêves transforment les paysages

Publié le par Pi_ro_94

La nuit et les rêves transforment les paysages. Je connais ainsi dans le quatorzième arrondissement de Paris un étrange immeuble.  Quand on passe devant et que l’immense porte charretière est fermée on ne peut se douter de tout ce qui se cache derrière.  Vue de la rue l’immeuble semble neuf, visiblement il a été restauré et son un air tout à fait parisien avec sa façade blanche alignée sur les autres, son toit en zinc le fait paraître absolument normal.

Mais  ouvrons la porte que voyons-nous ? Deux trottoirs  de part et d’autre d’un chemin pavé qui sous un haut plafond se termine une douzaine de mètres plus loin. Ce corridor d’entrée est ouvert sur une cour, elle aussi en partie pavée, on voit le jour y danser. On y devine d’autres bâtiments que celui qui donne sur la rue.  L’entrée de ce bâtiment est sur la gauche. Comme il n’y a pas de bâtiment mitoyen sur la droite il n’y a de ce côté du corridor qu’un mur aveugle. Mais allons vers la cour. Et là, surprise la cour,  après une plage sableuse, est égayée d'un grand arbre a qui cache à moitié un bâtiment d’un étage. C’est la grange de la ferme de Montsouris, seul et dernier vestige des fermes nourricières parisiennes, nombreuses encore à Paris au XIXème siècle.

Cette grange, son cellier transformé en chapelle, un pavillon appelé le Pavillon Troubadour » et la carrière historique dite de Port-Mahon qui se trouve en dessous de tout cet ensemble a fait l’objet d’un âpre et long combat entre plusieurs associations de défense du patrimoine et un promoteur qui était prêt à détruire ce lieu en partie classé au titre des monuments historiques. Ce n’est pas de ce combat acharné devant la justice mais aussi avec beaucoup d’intimidations des associations par les nervis du promoteur, expulsion féroce de sans-papier qui squattaient les lieux dont je vais vous parlez. Je n’ai d’ailleurs que très modestement participé à ce combat, disons plutôt pour faire nombre quand c’était nécessaire aux actions des associations mais ce qui est curieux c’est que cela m’a plus marqué que je ne le pensais.

Ainsi une nuit je me suis retrouvé à entrer dans ce bâtiment comme si de rien n’était et que j’en étais un légitime habitant. La porte, aujourd’hui normalement protégée et fermée par un digicode était totalement ouverte et je pouvais parfaitement entendre de la musique venant de la cour vers laquelle je me dirigeais plutôt que de monter dan mon appartement situé au dernier étage. Il y avait là une femme qui chantait en s’accompagnant à la guitare. Elle n’était qu’une ombre assise et une voix que j’entendais avec plaisir.  Tout naturellement, je m’arrêtais un instant pour l’écouter.

« Tu viens me remplacer à la garde ? », me demanda-t-elle en interrompant sa chanson. Ses yeux reflétèrent la lune.

« Quelle garde ? », fis-je l’air surpris.

« Ah ! bon tu n’est pas de l’association. Mais alors qu’est-ce que tu fais là ? T’es ami ou pas ? »

« Ami de qui ? J’habite là c’est tout. » Et je me dirigeais vers la grange.

«  Attends ! » m’interpela la femme, « tu vas pas par- là, c’est interdit. »

Comme je continuais sans m’arrêter, elle se leva, courut et me saisit par les bras.

«  T’es sourd ou quoi ? Je t’ai dit que c’était interdit ». Elle prétendait vraiment m’interdire de rentrer chez-moi dans ma ferme où j’aimais dormir à l’étage au-dessus de mes animaux plutôt que dans mon appartement du cinquième qui me servait  surtout de bureau. Je me libérais de sa prise, rentrais dans la grange et montais l’escalier qui conduisait à l’étage. Je l’entendis dire : « C’est dingue ! Je n’ai pourtant pas trop fumé. Juste deux petits joints. »

Quelques instants plus tard, elle était à côté de moi et me tâtait le corps incrédule. Elle faisait pareil sur elle-même comme pour vérifier qu’on était bien fait de la même chair tout en m’interrogeant, vous êtes vraiment vivant, vous n’êtes pas un fantôme, une hallucination ? Elle avait des yeux exorbités et sidérés comme quelqu’un qui se serait soudain trouvé en présence de la Sainte-Vierge ou de Jésus. Je la regardais plus attentivement, elle avait l’air pas mal malgré qu’un gros pull en laine masquait plutôt les formes de son buste. De taille plutôt moyenne, elle avait un beau visage avec des yeux gris-bleu, un nez fin et droit et un joli petit menton tout rond. Pendant ce temps les vaches et le bœufs dérangés s’étaient mis à beugler.

« C’est quoi ça ? » , fit-elle, totalement surprise. « Je ne dors pas ? Je ne rêve pas ce sont bien des meuglements de  vaches ? »

Eh bien si ! Ce n’était pas elle qui rêvait mais moi et je venais de me réveiller dans la peau d’un fermier nourricier transporté dans le Paris du XXIème siècle. On est toujours un peu flottant au sortir d’un rêve, dans une sorte de limbe entre deux mondes qui se côtoient et interfèrent sans se toucher. J’ai allumé la lumière pour regarder l’heure, il était 4 heures. Je n’avais pas tellement dormi. C’est étrange ce rêve. Inhabituel. Mais c’est un peu tôt pour que je me lève. Même un fermier ne se lève pas sitôt pour la traite je crois. Je vais essayer de me rendormir.

 

Publié dans Litterature

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E
Ton rêve était étrange et tu t'en souviens bien
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P
Etrange, comme tous les rêves. C'est rare de se souvenir de ses rêves et très souvent imparfaitement. Là, j'ai dû oublier des détails car il me semble qu'il était encore plus étrange que je n'ai su le rendre.
S
pour ma lecture, j'ai apprécié ton rêve comme un joli conte.
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P
Les rêves sont les contes étranges de nos nuits.