Première élégie de Duino (extrait)
Qui
si je crie
pour m'entendre ?
Quel ange parmi les anges ?
Et même s'il s'en trouvait un pour soudain
me prendre contre son cœur ?
Telle présence, j'en mourrais.
Car la beauté commence comme la terreur :
à peine supportable.
Et si nous l'admirons tant, c'est que nous détruire ne daigne :
quel que soit l'ange, il est terrible.
Autant donc taire au fond de moi renfoui
l'obscur sanglot.
Qui,
alors, qui
appeler à l'aide ?
Pas l'ange... Pas l'homme...
Les animaux ,eux, le savent bien,
notre mal-être en ce monde nous ne pouvons guère que l'interpréter.
Quoi,
alors, que
nous reste-t-il ?
Peut-être un arbre en quelque ravin,
- à revenir regarder, chaque jour ;
ou la rue, familière de longtemps,
que l'habitude y prenant goût sut inscrire en nos pas, facile, fidèle.
Et la nuit - ô la nuit,
- quand le vent porteur des espaces et des mondes
donne forme à nos visages -,
elle nous reste, elle, douce autant que désirée,
décevante ;
elle, cette épreuve pour tout cœur solitaire.
Est-elle plus clémente aux amants ?
Hélas, ils ne font
l'un à l'autre que se masquer leur destin.
Ne le savais-tu pas déjà ?
Ouvre grands tes bras, que leur vide rejoigne
les espaces où nous prenons souffle :
peut-être les oiseaux, dans le secret savoir de leur vol,
sentiront-ils le ciel
soudain plus vaste.
Rainer Maria RILKE
in Elégies de Duino
Traduit de l'allemand par Maximine